UN CONCERTO POUR UNE TRAVERSEE .
Ecouter le concerto pour piano n°2 de Rachmaninoff et laisser les mots venir .
Fermer un instant les yeux et s'envoler .
Le voilier quitte le port , la mer est calme , ils sont huit à bord , huit pour trois semaines .
Le vent est léger , à peine perceptible , la grand voile hissée , la nuit tombe et les étoiles se reflètent sur l'eau à l'infini . Il leur faudra 25 heures pour cette traversée . Des îles de Lérins au petit port de Calvi au nord ouest de la Corse .
Ils allaient suivre la côte ouest jusqu'à Bonifacio et chaque soir lançait l'ancre dans une petite crique au fil de leur cabotage . Les bateaux arrivaient , des voiliers , des yachts et beaucoup d'italiens qui s'arrimaient les uns aux autres pour festoyer et inviter les passagers d'un soir à partager leur Chianti savoureux et leur bonne humeur contagieuse , certains dansaient sur les ponts et de jolies guirlandes étaient tirées entre les mâts ... Vision feérique que celles de ces petites lumières qui valsaient dans les nuits étoilées .
Chaque matin , tirée de sa couchette elle sautait dans la mer douce et plongeait parfois vers les trésors des fonds sous marins . Nager ainsi lui donnait l'impression de voler au dessus des vallées , des pics , des collines . Spectacle incomparable que celui du monde sous marin .
Il y eût beaucoup de rires , beaucoup de cris dés que le vent se levait , il fallait aller vite , saisir les directives du barreur sans perdre de temps , courir à l'avant , se baisser quand il fallait tirer des bords , être efficace et discret . L'improvisation n'a pas sa place quand claquent les voiles .
Certaines nuits point de repos , le bateau tanguait , tournait et il n'était pas rare que l'ancre soit si tendue qu''il fallait d'urgence remonter celle çi à la manivelle pour se mettre face au vent , respecter la nature seule maitre .
Chacun avait ses quarts et à la proue assise dans le filet Anne Chiffon observait les hauts fonds , Tribord toute , Babord !!!
Leur arrivée entre les falaises de Bonifacio n'a pas échappé aux cris , le bateau surfant sur les vagues , vent arrière . La grand voile fut abattue au dernier moment , un défit de navigateur ...
Le temps du retour vers le continent est arrivé par un soir de juillet . Dans la cabine Rachmaninoff écouté à fond , une météo clémente ...La Corse s'est éloignée dans la nuit ...Plus de lumière , juste la nuit noire et le frémissement du vent . Anne Chiffon fût désignée pour son quart . Assise tenant la barre franche entre sa main , les pieds repliés sous elle , elle respirait ce sentiment de liberté incroyable quand le cliquetis des drisses a commencé , doucement . En moins de quinze minutes la voile s'est mise à claquer si violemment qu'elle a hurlé , la mer d'huile en quelques minutes avait laissé place à des creux de trois ou quatre mètres , les hommes se sont harnachés au bateau , dans le hublot elle voyait la quille émerger entre les vagues et le voilier gitait dangereusement .
19 heures plus tard ils lançaient leurs boutes sur le quai du port . Leurs visages décomposés , leurs dos fracassés mais leurs coeurs en ébullition .
Rachmaninoff les avait accompagnés dans toute la rage de la mer déchainée ...Un souvenir précieux au fil d'un concerto , au fil d'une mer qui ne s'apprivoise jamais , qui ne se dompte pas mais qu'elle aime pour sa force , pour ce qu'elle fait des hommes ...les rendant humbles et courageux .
Souvenirs au fil des notes de musique ... C'était il y a ...A quoi bon allez dans son coeur c'était hier .
Anne Chiffon