Les heures et le reste .
Quand on est enfant les journées n'ont pas de prise , pas vraiment et il suffit de prendre pour repère le goûter ou le moment du bain pour se situer plus ou moins dans le temps . 24 heures d'une éternité où les rêves les plus fous sont toujours possibles et chaque matin réinventés . Fabriquer une cabane et la prendre pour un palais , porter une robe qui tourne et devenir princesse , saisir une branche effilée et s'inventer soldat d'infanterie , mélanger des fragments de terre , quelques brins d'herbe les mélanger et devenir alors cordon bleu , trouver un oiseau mort sous les feuilles mortes et inventer un enterrement , prendre une boîte et en faire un tambour , s'égratigner les genoux et être alors blessé de guerre , vétéran pour la vie .
Attraper le gentil chien et le faire galoper comme le plus beau des alezans . Se parler à deux et tomber amoureux , donner un bouquet de trèfles fanés à la mariée , lui poser sur les cheveux une guirlande de lierre et de cyclamens sauvages et la prendre par la main pour aller l'épouser et s'inventer des enfants , en un instant sous le plus vieux chêne du petit bois derrière la maison des grands ...
Entendre sonner la cloche ou le sifflet , se parler javanais et se faire le serment de se retrouver demain à la même heure , mais laquelle ? Celle qui suit les tartines grillées ou bien celle du déjeuner les fesses agitées sur sa chaise à entendre les grands parler des heures qui deviennent soudain une parcelle d'éternité .
Puis à la première serviette pliée bondir et s'échapper , attraper un bout de pain , de bougie , qu'importe le trésor tant que l'on se retrouve à la porte du petit bois , que l'on tend la bougie serrée entre ses doigts engourdis et que l'on n'a pas oublié le mot de passe .
Le brave chien aura suivi attiré par les poches remplies de sucre et heureux au fond de participer à sa manière à ces jeux de l'enfance .
Parfois un grand perché sur une branche haute avertira ceux du bas qui foudroyés d'angoisse se jetteront pêle mêle sous les abris de fortune , la vieille couverture , la roue du tracteur rongée par la rouille , l'ancien accés à la grotte mytérieuse , cachée en contre bas de trois marches recouvertes de mousse et de champignons qui parfois éclatent et puent . fausse alerte , c'était juste le bruit des pas lointains du grand père que le vent avaient poussés jusqu'à leur cachette . Les nez se soulèvent alors , les coudes noirçis , les joues recouvertes par la poudre des champignons qui ont explosé et les cheveux emmélés . Les jeunes mariés resteront plus longtemps cachés leurs doigts enlacés et leurs coeurs battant ...
Il y aura toujours un roi , un empereur , un seigneur ou un président ...Quelques guerriers , des cantinières , des jeunes mamans avec leurs poupons sur leurs genoux une cuillère d'argile mélangée à trois pieds de Girolle pour une bouillie donnée à l'aide d'une feuille de houx coupée , quelques baies dans un compotier inventé et dans la cabane des petits lits pour les enfants de celluloïde qui sentent la vanille et la bruyère .
Le sifflet résonne , la cloche sonne chacun se sépare ...Demain c'est promis ils se retrouveront ...
Vingt ans ont passé , les mariés reviennent , la cabane est intacte , les petits lits sont couverts de lierre et les champignons éclatent sous leurs pas .
Pas de sifflet alors , pas de cloche mais à leurs poignets une montre ...Aprés on n'a plus le temps ... Anne Chiffon ( au fait qui saurait lui redonner des cours de javanais ? )