PARIS SOUS LA PLUIE ET LA BOITE A DEUX SOUS .
Hier la pluie n'a cessé de tomber alors qu'elle roulait vers Paris .
Rouler dans Paris un jour de pluie est un défi , arriver à l'heure à ses rendez vous alors que s'ouvrent les parapluies jaunes et gris et que les hirondelles se glissent sous les gouttières aux nez des matous aux moustaches de gendarme est une simple hérésie et pourtant ...
Elle est passée , sautillante et légère entre les gouttes de pluie qui claquaient sur les toitures de zinc avant de rebondir sur la toile jetée sur ses épaules et est arrivée aux onze coups sonnés les cheveux bien rangés , le visage serein et le sourire satisfait .
Oserai t'elle dire qu'elle avait une poignée de minutes d'avance sur lui ? Oui elle ose ...C'est si rare , si difficile pour elle de ne pas être dépassée par le temps . Depuis son enfance il en est ainsi , elle ne cesse de courir derrière le temps qui semble n'avoir d'autre projet que de la fuir et la dépasser . Pas hier , pas pour ce moment là et ce fût trés bien ainsi .
A l'heure du déjeuner elle a retrouvé mrs chérie , l'esprit encore embué par les mots distillés de cet entretien où la tolérance et l'amour de son prochain avaient pris toute leur ampleur . Un moment de mots livrés en une cascade retenue et brillante d'où elle a pu attraper ceux qui demain la porteront ... Ne pas en dire plus et garder pour elle ce mystère .
Puis elle a retrouvé mrs chérie lovée dans un fauteuil rubicond d'un restaurant américain . Elle l'a observée de loin quelques secondes , le temps de voir sa fille devenue femme , si jolie dans sa nonchalance ...Si belle dans ce moment qui semblait suspendu sur elle comme dans l'attente du sourire qui allait la second d'aprés éclairer son visage en l'apercevant dans les plis du rideau épais qui barrait l'entrée .
La pluie , toujours la pluie , tantôt fine , tantôt cassante et violente .
La pluie qui n'a cessé de l'accompagner alors qu'elle tournait cherchant à se garer devant l'antiquaire qui elle l'espérait alors estimerait , non achèterait sa boite précieuse , dernier souvenir de sa vie d'avant , ultime pendant de son insouciance .
Elle s'est enfin arrêtée et a scruté l'enseigne longtemps avant d'oser s'y enggoufrer . L'homme aux lunettes rouges poussées sur son nez bourbonnais a estimé mais n'a pas acheté , pire il a abimé son dernier espoir ...Il lui a parlé de chiffres si bas , si innatendus qu'elle a du s'y prendre à deux fois pour accepter sa sentence . " Vous êtes sur de vous ??? Vraiment ?"
Elle est remontée , a posé ses mains mouillées par la pluie sur son volant noir qu'elle aurait aimé de marbre ou d'écaille , d'or ou de Bakélite , un volant en porphyre ou en argent . Oui un volant précieux , un volant à vendre pour pouvoir respirer , reprendre juste son souffle et ne pas craindre la visite de l'huissier ...
Sa boite venait de fondre et la pluie alors s'est déchainée ; frappant les vitres de sa voiture et pénétrant malgré les vitres remontées par les fines ouvertures invisibles .
Elle est rentrée , centrée sur les mots du matin , elle a repris son souflle et prépare les petits choux pour son fils ...Là juste penser à maintenant et respirer .
La pluie s'en est allée et le ciel ce matin est bleu ...Si bleu . C'est aujourd'hui , un autre jour , un lendemain d'hier ...
Anne Chiffon