Journée ordinaire et soirée douce , trés douce .
Le jeudi est une longue journée dans la semaine d'Anne Chiffon , la semaine des quatre jeudis ce ne serait vraiment pas la panacée .
Aprés avoir déposé petit chou au coin de la rue à deux pas de l'école pris en charge par Lorraine et ses filles Camille et Adèle , Anne Chiffon a pédalé vite , trés vite pour arriver à son travail sans retard .
Elle travaille chez un médecin et elle qui a le coeur si blessé n'a rien trouvé de plus drôle que de seconder un cardiologue , lui soigne les coeurs que le temps a abimé et elle réconforte les patients inquiets en ayant elle même dans le silence du cabinet son coeur en miettes .
Anne Chiffon dés la première heure de cette journée a reçu des appels sur son portable " tiens quelqu'un pour elle ? Pas ses enfants , pas sa famille , pas d'amis non plus et un numéro inconnu ? "
Ne pas laisser les patients attendre alors en priorité créer leur dossier , leur faire leur électrocardiogramme , prendre leur tension et les faire patienter jusqu'à l'arrivée du médecin ...Mais qui tentait de la joindre ? Dés qu'elle pû s'échapper elle rappela le numéro , inconnu ... Mais elle aurait dû ne rien imaginer et lorsqu'elle a entendu la voix d'un homme et reconnu son banquier elle eut soudain le sentiment étrange qu'elle n'aurait pas dû se précipiter ... Vraiment pas . Pourquoi n'a t'elle pas le droit à seulement une semaine entière sans souci , sans problèmes qui s'accumulent et comment avancer alors sereine et détendue ?
Cinq années à ce rythme absurde , avec tous ces hauts , ces bas exactement comme ces électrocardiogrammes qu'elle enregistre sur les patients de 2 à 99 ans , des petits , des femmes enceintes , des hommes stressés , des adolescentes émotives , des dames agées au regard bleu qui sont encore si belles , des Madeleine , des Marie Lucie , des Ulysse , des Huberta , des Hermance , des Jeanne , des Tarzan ( un vrai de son prénom ), des Emile , des Armand , des Louise , des Alice , des Blanche , des Marcel , des Violette , des Marie Thérèse , des Marthe , des Joséphine , des Pauline , des Louis , des Antoinette , des Edouard , des Paul , des Henri et des Henriettes . Toutes ces femmes , ces hommes , ces couples , ces solitudes ou ses détresses mais aussi des petites femmes toute pliées par l'âge mais à l'humour intacte et au rire communicatif ... Des histoires de vie racontées là avec confiance , des romans qu'aucun n'auraient imaginé , des rencontres fortes et d'autres qui ne laissent pas même le souvenir d'une voix , d'un sourire ...Tous ces coeurs qui battent , et Anne Chiffon là pour son travail mais aussi pour eux et ce matin tellement secouée par ce coup de fil qui l'a isolée de ses patients trop préoccupée par cet appel aussi violent qu'un couperet .
Anne Chiffon est rentrée vite , dix minutes à peine et repartir sans déjeuner...Dans l'angoisse d'un autre appel qui a fini par arriver et se dire qu'elle n'y arrivera pas , sa bonne amie , sa soeur d'adolescence l'a aidée , guidée et malgré toute cette aide le bateau a encore chaviré , elle ne supporte plus ces noyades qui reviennent sans cesse avec la régularité des marées .
L'heure de la dernière consultation a sonné et elle est rentrée accompagnée par la pluie qui s'est abattue en trombe à peine aprés qu'elle se soit arrêtée pour prendre en photo les nuages menaçants , si beaux , si sombres , si ronds et voluptueux . Les feuilles des Platanes se sont mis à frissonner et l'eau du ciel est tombée .
Anne Chiffon est arrivée trempée , à tordre ,à la maison . Petite chérie avait mis petit chou dans son bain et a bien vu que sa maman ce soir était mouillée autant dehors que dedans .
Petite chérie a attendu la fin du bain de son petit frère , dans la cuisine sur la table Anne Chiffon a ouvert les cahiers pour revoir les mots invariables avec petit chou , ah si parfois la vie pouvait être invariable comme des mots et se poser pour ne plus changer !!! Juste pour se reposer ...
Puis , Eugénie a ouvert la porte et proposé de faire le diner , formidable s'est dit Anne Chiffon , petite chérie est douée pour improviser , elle a pris des tomates , des oignons , des lardons , des pâtes , de la crème et du poivre , a épluché sans pleurer ( grand mystère !!!) les gros oignons , les a finement coupés et petit chou a fini sans tarder ses devoirs pour aider sa grande soeur , la cuisine doucement au fur et à mesure de la chanson qui montait de la poêle s'est parfumée ; la pluie continuait à fouetter les vitres et là tous les trois eûrent faim , tous les trois se sentaient bien ensemble . Le diner fût délicieux et a suffi à faire oublier , à mettre de côté les soucis de la journée . Ce soir rien d'autre à penser et s'obliger à se dire que la nuit lui porterait conseil .
Puis à la télévision une émission divine sur la samba , les écoles de samba , Rio de Janeiro , Vinicius de Moraes , ce plaisir partagé avec petite chérie d'une musique brésilienne qui transpire le mélancolie , l'amour , la joie et ce soir c'est la joie qui est passée au dessus . O doux Brasil ...
Et les regarder ses enfants avec joie , douceur , les regarder pour enfouir au fond de son coeur ces images simples du bonheur de leurs coeurs qui battent au rythme de leurs vies , de leurs rires et qui juste en étant là lui ont ce soir encore apporté ce bonheur essentiel qu'elle a d'être tout simplement leur maman .
Avoir une pensée aussi pour ses trois grands , pour grand chéri dont c'était ce matin la dernière épreuve du baccalauréat et avoir soudain une envie irrésistible et en communion avec petite chérie : partir pour le Brésil , ah si les rêves n'existaient pas , ah et si ce soir ne s'était pas si doucement et joyeusement refermé sur ce jeudi ? Avec des si ainsi, Mozart n'aurait jamais composé d'opéras , Verdi , Puccini non plus et ce soir nous n'aurions pas été tous les trois si tendrement heureux et Anne Chiffon aurait passé sa soirée la tête dans le combiné du téléphone . Merci à ma petite chérie , à mon petit chou pour tout ça . Anne Chiffon